Depuis de nombreux mois, la question de la souffrance au travail est largement reprise dans les médias. Dans certains cas, cette souffrance conduit à des actes désespérés, jusqu’au suicide. Quelles pratiques de prévention peuvent être mises en oeuvre pour endiguer ce processus ?
Toutes sortes d’explications sont proposées, allant de la faiblesse psychologique des salariés aux pratiques managériales inconséquentes ou perverses en passant par des formes d’organisation inadaptées. Trop peu de ces explications ciblent le travail. Aussi, la Société d’ Ergonomie de Langue Française tient-elle à souligner que la prévention durable de cette souffrance exige de passer par le travail réel et le vécu des différents membres des organisations (les salariés et leurs représentants, incluant l’encadrement de proximité et les managers), et que pour être viable, cette prévention durable doit s’inscrire dans une logique de développement de l’entreprise et de son organisation nourrie par l’analyse de la réalité du travail pour les salariés.
Repenser le réalisme dans les organisations
Le management des organisations est un exercice de plus en plus difficile et contraint, qui nécessite de décider et d’arbitrer avec souvent peu de temps pour en envisager pleinement les conséquences. C’est particulièrement vrai lorsque cela concerne les « ressources humaines » dont on sait qu’elles soutiennent le développement et l’innovation des organisations.
Dans des configurations aussi tendues, rigides et parfois fausses et artificielles, l’inadéquation des moyens techniques ou organisationnels s’aggrave quand les entreprises se coupent de l’expérience concrète du travail que vivent et qu’investissent les salariés. En effet, si ce lien avec la réalité du travail est perdu, les décisions de management conduisent à des situations intenables : à la perte de repères professionnels, à l’incapacité de transmettre ses compétences, voire à l’impossibilité de développer son savoir-faire, à l’éclatement des collectifs de travail, à l’isolement, qui sont à l’origine de la souffrance de tous les salariés, encadrement et décideurs compris.
Pour un développement durable des salariés par l’activité de travail
Dans ce contexte, la Société d’Ergonomie de Langue Française se joint au concert des voix qui s’élèvent aujourd’hui pour attirer l’attention de toutes les parties prenantes –directions d’entreprise, organisations syndicales, pouvoirs publics, mais aussi professionnels de santé, de sécurité, d’organisation du travail- sur la nécessité d’écouter, d’abord, ce qui se dit du travail à travers les événements qui l’atteignent, et de construire, ensuite, une réponse à la hauteur des questions qu’il pose, au niveau donc de la condition du travail –i.e. du contenu et de l’organisation du travail (dans ses dispositifs de conception, d’encadrement, de formation et d’évaluation)- qui dépasse très largement le seul soutien des personnes en souffrance.
Il n’y a pas de travail sans qu’on y mette de soi, sans s’y investir individuellement et collectivement et y développer une activité. C’est par cette activité de travail qu’il y a innovation et création de valeur, mais cela n’est rendu possible que si les salariés sont à même de développer une capacité d’agir qui témoigne de leurs compétences et, aussi, de leur santé. Plus largement, c’est donc la perspective même d’un développement durable par le travail, des personnes et des organisations tout comme de la société, qui se trouve interrogée.
Par ses méthodes, par sa visée, par sa démarche, l’ergonomie consiste à toujours passer par le travail, c’est-à-dire cette expérience du monde qui à la fois le révèle –enjeu de découverte, d’apprentissage, de décision, de création- et révèle la personne à elle-même –enjeu de développement de soi-. En matière de prévention des risques psychosociaux, comprendre le travail c’est comprendre les ressorts qui font ressource et les résistances qui font obstacle dans la confrontation au réel, la manière dont au final l’ensemble rend possible, et à quels coûts économiques et subjectifs, la performance réelle du travail. La capacité et la responsabilité des ergonomes –autrement dit leur compétence- consistent alors à rendre ce processus visible et intelligible, et en faire le levier pour aider l’organisation à évoluer dans sa manière de voir la contribution du travail à la performance, pour qu’ainsi elle change dans sa manière de faire avec la subjectivité des personnes et qu’elle inscrive la prévention des risques dans une stratégie globale de développement du bien-être.
La SELF souligne la valeur de rendez-vous –social tout autant que économique, de santé publique tout autant que de performance organisationnelle- que représente la résonance nouvelle des Risques Psycho Sociaux dans la sensibilité des personnes, des organisations et de la société. Il représente en effet, au-delà du tragique de l’actualité qui le met en scène, une occasion stratégique et historique pour (re)mettre le travail au centre du débat politique. Autrement dit au coeur des choix, des décisions, des actions qui sont engagés dans la perspective du développement des personnes, des organisations et de la société toute entière.
Le Conseil d’Administration de la Société d’Ergonomie de Langue Française