Fermer la recherche
Fermer

Connexion

Edito du bulletin – janvier 2016

Publié le 

12 janvier 2016

 par 

SPYRIT

Ergonomie et créativité, une opportunité pour l’ergonomie de l’activité ?

En quelques mois, pas moins de cinq symposiums ou conférences viennent de se tenir sur la thématique de l’ergonomie (ou du travail) et de la créativité (1). Cette conjonction d’initiatives convergentes nous interroge : pourquoi un tel foisonnement maintenant ? Quelle opportunité cette notion de créativité présente-t-elle pour l’ergonomie ? Elle nous conduit aussi à tenter une première synthèse des réflexions qui sont menées aujourd’hui sur cette thématique de la créativité et de l’ergonomie. Il s’agit enfin de débattre des suites qui pourraient y être données par la communauté des ergonomes, notamment au sein de la SELF.

En effet, au-delà de la coïncidence de ces initiatives, le fait qu’autant de débats aient lieu en même temps, sur des questions diverses mais reliées entre elles par ce fil directeur de la créativité dans le travail et dans son analyse par l’ergonomie ou par d’autres disciplines du travail, est important. De nombreux aspects de la mise en œuvre de la créativité sont abordés dans l’ensemble des communications qui sont intervenues dans les différents symposiums : la conception d’objets, d’espaces de travail, la conception d’organisations du travail, les méthodes de créativité en vue de la diffusion de messages en direction de clientèles d’entreprises privées ou d’usagers des services publics, les initiatives à prendre par les ergonomes sur le plan de leurs relations avec les acteurs de l’entreprise, la place de la créativité en rapport avec les exigences qui se posent aux ergonomes sur le plan éthique… (et cette liste n’est pas exhaustive). Cet ensemble de communications et les problématiques qu’elles soulèvent ne peuvent nous laisser indifférents.

En outre, de nombreux ergonomes francophones et / ou ergonomes tenants de l’ergonomie de l’activité ont contribué à ces débats par des communications originales (2), non publiées à ce jour (3), à l’exception de l’introduction au symposium proposé par la Fédération européenne des sociétés d’ergonomie (FEES) et de quelques résumés lors du dernier Congrès de la SELF (4).

Cette multiplication de débats est, pour partie, liée à la préparation du prochain congrès de l’IEA sur cette thématique (« Creativity in practice »), organisé par la Société italienne d’ergonomie (SIE), laquelle a proposé à différentes sociétés d’ergonomie d’être associées à cette préparation. Dans ces conférences, les questions qui ont émergé nous paraissent être les suivantes : le concept de créativité dans le champ du travail et de l’ergonomie est polysémique et il doit aussi être compris dans un sens large : il est lié à d’autres concepts tels que ceux d’innovation, d’invention, de sérendipité, de mètis, de résilience, de catachrèse et de vicariance.

La créativité, pour certains ergonomes, ouvrirait de nouvelles perspectives pour la discipline, celle d’une « ergonomie prospective », au-delà des limites identifiées d’une ergonomie de correction ou de conception. Sans aller jusqu’à la définition d’une nouvelle forme d’ergonomie, il nous semble que les demandes adressées par les designers ou les tenants de l’innovation à l’ergonomie doivent être prises en considération. Mais la créativité doit être référée aux principales contraintes et potentialités du travail, aux conditions sociales et économiques dans lesquelles il s’exerce, aux technologies et artefacts qui sont mises en œuvre, aux capacités physiques et cognitives des opérateurs, aux identités et cultures professionnelles.

Les méthodes de l’ergonomie sont également traversées par la question de la créativité. Dans l’intervention ergonomique, la créativité est à l’œuvre aussi bien pendant le travail de la demande que pendant le travail d’enquête de terrain ou au moment de la proposition de solutions : la créativité peut être un appui pour développer de nouvelles méthodologies, de nouvelles techniques d’intervention.

Les objectifs de l’ergonomie devraient être revisités à la lumière de la créativité, c’est-à-dire par la mise en évidence ce processus de créativité dans les différentes dimensions de l’activité des ergonomes eux-mêmes : la production de connaissances sur le travail, le rôle des ergonomes individuellement ou collectivement (cf. le rôle de lanceurs d’alerte que la SELF a pu jouer dans le domaine des RPS ou plus récemment de l’avenir des institutions représentatives du personnel), la définition de nouveaux moyens d’action, de communication…

La créativité pourrait aussi être mise à contribution pour expliciter ce que les ergonomes montrent depuis bien longtemps : comment les travailleurs régulent et élaborent des modes opératoires qui leur permettent de travailler et de faire face aux aléas. La mise à contribution de cette notion de créativité peut-elle permettre de mettre en évidence que les initiatives prises sur le terrain par les opérateurs pour assurer la performance et la résilience des systèmes, pour combler – partiellement ? – le déficit d’innovation que l’on constate dans beaucoup d’entreprises constituent de réelles innovations. Une telle démarche pourrait-elle être en partie une réponse à l’injonction répétée par les managers « soyez créatifs, soyez innovants !» sans qu’ils ne donnent en même temps aux salariés les moyens de mettre en œuvre cette injonction, sans prendre en compte ces exigences dans les prescriptions ou les directives adressées aux opérateurs ? De ce point de vue, la recherche de créativité peut être un piège si elle n’est pas référée aux exigences de santé et de développement personnel des opérateurs.

Il nous semble qu’il est nécessaire de se donner les moyens de prolonger et d’organiser ces discussions au sein de l’ergonomie francophone. Certes, des initiatives sont en chantier dans le cadre de FEES (5). Mais il serait dommage que la SELF reste à l’écart d’une dynamique qui est à l’œuvre, avec des initiatives qui lui soient propres. Avec quels objectifs ? Selon quelles modalités ? Selon quels rythmes ?

Le débat est ouvert.

Pascal ETIENNE

Président de la SELF

(1) Se sont tenus, en effet :

  • Trois symposiums sur le thème « ergonomie et créativité », en anglais :
    • A l’initiative de FEES, de la SIE et d’APERGO, en Juin 2015, à Lisbonne,
    • A l’initiative de l’IEA et de la SIE, en Août 2015, à Melbourne,
    • A l’initiative de FEES et de la SELF, en Septembre 2015, à Paris,
  • A l’initiative du groupe « ERGO Idf », à Paris en Octobre, une journée « Créativité, innovation et ergonomie »
  • A l’initiative du CRTD-CNAM et de l’ESCP, soutenue par la SELF, à Paris en novembre 2015, un colloque « Travail et créativité ».

(2) Les différentes communications d’ergonomes francophones que nous avons recensées sont les suivantes : Sylvain Biquand : Ergonomics and creativity ; Christian Blatter : le processus d’innovation en entreprise : quelle contribution des ergonomes et autres acteurs des SHS à la SNCF ; Nathalie Bonnardel : Comprendre les activités créatives et les favoriser ? Approches cognitives et ergonomiques ; François Daniellou : L’obscure créativité de l’activité de travail ; Pascal Etienne : Ergonomics in front of the creativity in the future work ; Corinne Gaudard : Temps, activité, créativité ; Julien Nelson : Apport des techniques de créativité pour l’ergonomie prospective ; Moustafa Zouinar : L’ergonomie face aux enjeux éthiques soulevés par les innovations technologiques informatiques récentes.

(3) Les présentations Powerpoint en anglais des symposiums de Lisbonne (FEES) et de Paris (FEES / SELF) sont disponibles sur le site de FEES: http://ergonomics-fees.eu

(4) Etienne P. et Leduc S. : Ergonomie et créativité, Actes du 50ème Congrès de la SELF.

(5) cf. l’article « Echos du Conseil de FEES» dans le présent numéro.

À lire aussi…