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Communiqué de la SELF au sujet des réformes du code du travail

Publié le 

3 novembre 2017

 par 

M. Eric LIEHRMANN

L’ergonomie face aux réformes du code du travail

Les réformes engagées par le gouvernement Edouard Philippe par voie d’ordonnance sont-elles de nature à transformer profondément et durablement le travail en « libérant » le travail et les entreprises comme l’annonce le projet gouvernemental ?

Depuis l’élection du nouveau Président de la république, Emmanuel Macron, les projets adoptés dans le champ du travail suscitent beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes. Les ergonomes, soucieux des questions du travail, sont interpelés par les projets gouvernementaux et par les débats qui se font jour. Même si beaucoup d’incertitudes sont présentes et ne seront levées qu’à la fin du processus d’adoption des nouvelles dispositions, il est possible dès maintenant d’identifier certaines lignes de forces et d’avancer quelques exigences fondées sur les pratiques d’intervention des ergonomes et sur les réflexions formalisées au sein de notre communauté.

La réforme par ordonnances envisage la question du travail comme réduite essentiellement à un marché dont il faut « libérer les contraintes », en matière de rupture du contrat de travail en particulier. Elle laisse dans l’ombre les capacités d’initiative et de créativité des opérateurs fondées – entre autres – sur la stabilité des relations de travail et sur la confiance dont ils bénéficient de la part de leurs pairs, de l’encadrement et du management des entreprises. Elle ne met pas en perspective l’impact en matière d’organisation dans l’entreprise, sur la coopération entre les salariés, sur les conditions requises pour développer les compétences des opérateurs, … comme si l’entrepreneur pouvait se limiter à nouer des contrats avec des fournisseurs, prestataires, sous-traitants et parfois des salariés. Autant de points qui vont à l’encontre de l’efficacité des organisations, de la performance de l’entreprise et de la santé des opérateurs, ainsi que l’ont établi de nombreuses interventions ergonomiques.

Cette flexibilisation des contrats de travail devrait s’accompagner d’un projet de sécurité des parcours professionnels. Mais pour l’instant, l’agenda législatif est vide sur cette dimension.

Un autre point de la réforme concerne le pouvoir patronal contrebalancé par le droit du travail : Le plafonnement des indemnisations en cas de recours devant les prud’hommes, le changement dans la définition du licenciement économique, la priorité donnée aux choix faits par l’employeur, par exemple en matière de relations sociales, illustrent la conception sous-jacente du travail comme un coût et non pas une ressource. Et le droit du travail se réduirait à des procédures formelles, voire absurdes, conçu pour gêner les entrepreneurs et non pas comme un moyen d’assurer « en même temps » les conditions d’une concurrence loyale entre les entreprises et la qualité de la vie au travail.

Sans entrer dans le détail de chaque ordonnance, nous pouvons en souligner les points les plus préoccupants pour l’avenir du travail et des entreprises :

  • l’introduction d’une négociation directe de l’employeur avec les salariés dans les entreprises de moins de 10 salariés ou entre 10 et 20 salariés en l’absence de Comité social et économique et d’une négociation directe avec les élus du nouveau Comité social et économique (CSE) entre 11 et 50 salariés et au-delà de 50 salariés en l’absence de mandatement par une organisation syndicale, ce qui risque d’aboutir à un contournement des organisations syndicales représentatives.
  • La fusion des Institutions Représentatives du Personnel (DP, CE, CHSCT) dans le Comité social et économique (CSE) qui rassemblera ces instances avec la possibilité de mise en place d’une commission santé, sécurité et conditions de travail par accord d’entreprise. Obligatoire dans les entreprises « à risques » ou par décision de l’Inspection du travail dans les entreprises de moins de 300 salariés, cette commission sera sans personnalité juridique.
  • Aucune disposition nouvelle sur les droits syndicaux ou les droits des institutions fusionnées dans le CSE, juste la mise en place d’une co-décision sur la formation professionnelle ou l’égalité femmes-hommes.

Les projets gouvernementaux font état d’une volonté de simplification et même d’une amélioration du dispositif de représentation du personnel. Mais la réforme adoptée soulève beaucoup de questions et laisse dans l’incertitude un certain nombre de points :

  • Se fait-elle à périmètre constant en termes de moyens ou d’attributions pour les représentants du personnel, en particulier ceux qui sont susceptibles d’intervenir dans le domaine du travail ? Le nombre de représentants, le niveau des heures de délégation fixées par décret, ainsi que le contenu et modalités de la formation pour les entreprises de moins de 300 salariés semblent bien être révisés à la baisse.
  • L’intégralité des missions du CHSCT est-elle transférée à la nouvelle instance ? Cette dernière a pour mission l’«analyse des risques professionnels», mais reste –t-elle compétente pour l’analyse des conditions de travail, des facteurs de pénibilité, pour contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale des travailleurs ?
  • Le droit à faire appel à un expert dans le domaine du travail est sérieusement limité et le coût des expertises décidées en cas de modification importante des conditions de travail sera en partie à la charge du comité. L’employeur peut également contester le coût final de l’expertise. Les modalités d’agrément des experts, dont bon nombre d’ergonomes, semblent évoluer vers une certification où les exigences méthodologiques risquent de s’éloigner d’une approche par le travail.

La disparition du CHSCT, qui était devenu en quelques dizaines d’années un véritable levier pour l’action sur la question du travail et très souvent un interlocuteur compétent des interventions ergonomiques, interroge quant à la prise en compte de la santé au travail en entreprise.

Cette réforme s’ajoute aux réformes passées de la médecine du travail, aux réorganisations au sein d’institutions comme les DIRRECTE ou les CARSAT et des lois dialogue social et Travail. La communauté des ergonomes se doit donc d’alerter l’ensemble des parties prenantes sur les effets en matière de santé au travail, de risque de réduction des moyens de consultation et de contrôle des représentants du personnel, sur la suppression de dispositifs (tels que les CHSCT) qui sont autant d’espaces de débat, articulant expression directe et expression médiée par les représentants du personnel sur le travail et plus largement sur la place laissée aux questions du travail et de la santé au travail dans le cadre du projet de simplification mise en œuvre par le gouvernement.
 

Le Conseil d’administration de la SELF,
Paris, le 3 Novembre 2017