Pierre Rabardel est né en 1945 à Dinan (Côtes-d’Armor), dans une famille de militants. Son père, agrégé, communiste et résistant, ses grands-parents paternels, instituteurs communistes, figurent tous les trois dans le Maitron, dictionnaire du mouvement ouvrier et du mouvement social. Son grand-père maternel, lui, était le député socialiste allemand Heinrich König, qui a fui le nazisme, s’est engagé dans la résistance en France et a été déclaré « mort pour la France ». Pierre et le photographe autrichien et enseignant-chercheur à Paris 8 Arno Gisinger viennent de lui consacrer un livre bilingue[1] qui, triste coïncidence de calendrier, sortira le 8 octobre.
Après une licence de sciences de l’éducation, Pierre Rabardel suit la formation de conseiller d’orientation – psychologue et exerce ce métier pendant 4 ans. Il devient en septembre 1973 chargé de recherche à l’Institut national de recherche et de documentation pédagogique (INRDP) et en 1978 occupe la même fonction à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), qui a succédé au précédent. Il est actif au sein du SNCS (Syndicat national des chercheurs scientifiques), où il se lie d’amitié avec Gérard Vergnaud. Il s’investit dans la didactique professionnelle, et conduit des recherches sur le dessin technique, dans le cadre d’une recherche coopérative sur programme du CNRS, sans équivalent international, avec Annie Weill-Fassina, Pierre Vérillon, Pierre Vermersch et beaucoup d’autres[2]. Il soutient son doctorat sur le sujet sous la direction de G. Vergnaud. Il s’intéresse à la CAO et la commande numérique. Il se forme à l’œuvre des psychologues soviétiques (Vygotski, Leontiev, Lomov, Luria).
En octobre 1989, il est nommé maître de conférences en psychologie au laboratoire d’ergonomie du CNAM. Il s’intéresse aux conduites cognitives dans les activités avec instruments, aux « représentations pour l’action »[3], à la didactique professionnelle, aux pratiques de formation dans l’activité des ergonomes. Son habilitation à diriger les recherches[4] est son œuvre majeure. À l’opposé des approches technocentrées qui séparent l’objet de son utilisateur, Pierre Rabardel insiste sur le fait que l’objet ne devient instrument que dans l’usage, dans une perspective anthropocentrée. Il définit l’instrument dans le couple artefact/schèmes d’utilisation (d’autres diraient les compétences) et décrit les processus de genèse instrumentale comme l’élaboration conjointe de l’artefact et des schèmes d’utilisation . Il décrit les processus de genèse instrumentale comme l’élaboration conjointe de l’artefact et des schèmes d’utilisation.
Nommé professeur de psychologie et ergonomie à l’université Paris 8 en 1993, il y développe l’ensemble d’un cursus licence/master/doctorat en psychologie ergonomique. Avec des collègues praticiens, il publie le célèbre Ergonomie : concepts et méthodes[5] qui inaugure à Octarès la collection Formation, dont il prend la direction. Avec les membres de l’équipe C3U du laboratoire Paragraphe, il travaille notamment sur l’évolution du pouvoir d’agir des sujets en relation avec les genèses instrumentales. Il dirige avec Yves Clot et Pierre Pastré un réseau de recherche Modèles du sujet pour la conception[6], et propose la notion de « sujet capable », avec la volonté de rééquilibrer l’hypertrophie de l’étude de la cognition par une prise en compte des « instruments subjectifs » élaborés au sein de l’activité constructive.
Il met en place une convention de coopération internationale entre l’Institut de psychologie de l’Académie des sciences de Russie et l’UFR de psychologie de l’université Paris 8 autour de l’œuvre de Rubinstein, qui met l’accent sur l’unité de la conscience et de l’activité[7].
Pendant plusieurs années, il codirige le DEA d’ergonomie qui rassemble le CNAM et plusieurs universités. Au cours de sa carrière, il aura accompagné 19 thèses de doctorat et 5 HDR, dont il est impossible de citer tous les auteurs ici. Outre celles et ceux déjà cités, mentionnons cependant, parmi ses coauteurs les plus récurrents, Pascal Béguin, Viviane Folcher, Janine Rogalski, Renan Samurçay, Christine Vidal-Gomel.
Il prend sa retraite en 2010, mais garde des contacts scientifiques actifs avec l’équipe actuelle d’ergonomie à Paris 8, Françoise Decortis, qui reprend la responsabilité du Master 2 d’ergonomie à partir de cette date, Anne Bationo-Tillon, et Gaëtan Bourmaud. Il s’investit dans la sculpture, au sein du projet collectif Le 6b à Saint-Denis[8]. Son site www.rabardel.fr permet de découvrir l’ampleur de son œuvre artistique, moins connue des membres de la SELF que son œuvre scientifique. Il donne aussi un accès aisé à certains de ses articles. On retiendra également son double ancrage breton (Saint-Cast-le-Guildo, Côtes-d’Armor) et dionysien (il avait à Saint-Denis non seulement son bureau universitaire mais aussi sa résidence).
L’équipe actuelle de Paris 8 a annoncé, de longue date, un colloque du 24 au 26 novembre prochains Approche instrumentale : expansion et devenirs[9]. Si le décès de Pierre modifie tragiquement le contexte de ce colloque, celui-ci sera l’occasion de prendre conscience de l’ampleur du sillage que laisse son œuvre.
La SELF présente ses condoléances à sa compagne, à ses enfants, et à l’équipe d’enseignement et de recherche dont il était resté proche.
Texte rédigé par la commission histoire de la SELF avec les apports de plusieurs collègues de Pierre.
La Self publiera sur son site internet les autres hommages adressés à Pierre Rabardel qui seront recueillis.
[1] Gisinger, A., Rabardel, P. (2021). HK Destins/Schicksale, Paris : Éditions Loco. Présentation : https://www.editionsloco.com/rubrique267
[2] Ces recherches ont fait l’objet d’une synthèse : Rabardel, P. , Weill- Fassina, A. (1992). Fonctionnalités et compétences dans la mise en œuvre de systèmes graphiques techniques. Intellectica, n° 15, 215-240.
[3] Weill-Fassina, A., Rabardel, P., Dubois D., éds. (1993). Représentations pour l’action. Toulouse : Octares
[4] Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies, une approche cognitive des objets contemporains, préface de Jacques Leplat. Paris : Armand Colin.
[5] Rabardel, P., Carlin, N., Chesnais, M., Lang, N., Le Joliff, G., Pascal, M., (1998). Ergonomie : Concepts et Méthodes, 175 p., Toulouse : Octarès.
[6] Rabardel, P., Pastré, P., (2005). Modèles du sujet pour la conception : dialectiques activités développement. Toulouse : Octarès.
[7] Nosulenko, V., Rabardel, P. (2007). Rubinstein aujourd’hui, co-édition MSH Paris, Octarès
[8] http://le6b.fr/
[9] Comité scientifique : Anne Bationo Tillon [Haute Ecole Pédagogique Vaud / Université Paris 8], Viviane Folcher [Université Paris 8 / Agrosup Dijon], Gaëtan Bourmaud [Université Paris 8], Françoise Decortis [Université Paris 8]. Programme Colloque – Approche instrumentale : expansion et devenirs – Université Paris 8 (univ-paris8.fr)
