Né en Octobre 1921, Jacques Leplat est décédé en Avril 2023 dans sa 102èmeannée.
Comme il l’explique dans l’interview qu’il avait accordée à la Commission d’Histoire de la SELF [1] sa longue carrière a toujours été guidée par sa volonté de développer la psychologie du travail et d’en faire reconnaître le caractère scientifique. Il pensait que ses recherches trouveraient leurs débouchés en ergonomie mais que, en raison de son interdisciplinarité, celle-ci ne pouvait se réduire aux seules données de la psychologie.
Vers 1950, les premières années de J. Leplat au CERP (Centre d’Études et de Recherches Psychotechniques), alors dirigé par J.M. Faverge, ont été marquées par l’arrivée en France, de « l’ Human engeeniring ». Alors que le terme « d’ergonomie » n’existait pas encore, « L’ adaptation du travail à l’homme », écrit en collaboration avec B. Guiguet et ses premières études avec R. Browaeys notamment sur le continu à filer, ont fait de J. Leplat un des pionniers en matière d’analyse du travail, essayant d’apporter une rigueur scientifique à l’observation sur le terrain qu’il voulait liée à l’expérimentation.
En 1958, au départ de Faverge en Belgique, Leplat prit la direction du CERP, remplaçant le terme « psychotechnique » par « psychologique ». Les principaux axes des analyses du travail portaient sur l’informatisation, l’analyse des accidents, la formation. Il s’agissait des premières analyses de l’activité cognitve en situation de travail. Elles concernaient la prise et le traitement des informations, leurs difficultés de compréhension. Au plan théorique, elles marquaient un passage du behaviorisme au cognitivisme. C’est à cette époque que J. Leplat a développé la distinction entre tâche et activité et le modèle de la double régulation qui sont devenus des notions de base en ergonomie, ainsi que la méthode de l’arbre des causes pour analyser les accidents, largement reprise et diffusée par l’INRS (Institut National de Recherches sur la Sécurité).
Le développement des études, le rapport avec ses collègues d’autres disciplines ont été largement soutenus par le Commissariat Général à la Productivité, dans le cadre de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) dont l’organisation a marqué le début des recherches internationales sur le travail.
En 1966, J. Leplat quitte le CERP pour L’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Études) installé dans les locaux de l’INETOP, 41 Rue Gay-Lussac, où il succède à R. Bonnardel. Il réoriente complètement le laboratoire jusqu’alors consacré à la mise au point de tests pour la sélection et l’orientation professionnelle, vers un autre aspect de la psychologie du travail. Il y développe une équipe dont les membres sont tous rattachés au CNRS à l’exception d’une maitre de conférence. Les préoccupations théoriques dominent alors dans l’analyse des situations : théorie soviétique de l’activité, théorie du développement cognitif dans la ligne de Piaget, cognitivisme, sémiologie. Assumant que la réalité déborde toujours le modèle, Leplat reste ouvert à cette diversité en s’assurant de la rigueur méthodologique des recherches et de la qualité des publications.
En 1989, Jacques Leplat prend une retraite très active : jusqu’à 2020, il a écrit des ouvrages, republié les textes qu’il jugeait essentiels dans l’histoire de l’analyse et de la psychologie du travail. Pendant toute sa carrière, il a accordé une grande importance à la diffusion des connaissances et a dirigé pendant plusieurs années « Le Bulletin du CERP » puis « Le travail Humain ».
Impossible de parler ici de toutes les thèses qu’il a dirigées, de tous les congrès auxquels il a participé, des institutions qu’il a pu conseiller. J’évoquerai seulement la SELF dont il a été l’un des fondateurs en début de carrière et et le GRESHTO (Groupe de Recherches sur l’Histoire du Travail et des Organisations) dont il a assumé la direction scientifique après sa retraite.
Leplat a été un patron de laboratoire exigeant, toujours respectueux de ses chercheurs et de toutes les personnes qui ont travaillé avec lui. Ceux qui l’ont connu, toujours souriant, affable et d’humeur égale, se rappelleront son amour pour la montagne, ses récits de randonnées qu’il a poursuivies même seul jusqu’à un âge avancé et se souviendront de lui montant les quatre étages vers son laboratoire d’un pas allègre qui faisait pâlir des bien plus jeunes que lui.
[1] https://ergonomie-self.org/wp-content/uploads/2016/07/Jacques-Leplat.pdf